Ingrid vous parle de ses romans préférés (et vous lit un extrait à la fin de l’épisode).

Au XIXe siècle, un génie de la presse a inventé le roman-feuilleton : des histoires sous la forme d’épisodes publiés quotidiennement dans le journal.
Les romanciers de l’époque ont donc dû créer des œuvres accessibles à un public très large et avec du suspens qui donne envie de découvrir à tout prix l’épisode suivant.
Certaines des œuvres créées dans ces conditions sont devenues des grands classiques de la littérature française, écrites par des grands auteurs comme Émile Zola, Honoré de Balzac, Alexandre Dumas, Jules Vernes, George Sand… Découvrez leurs secrets pour une histoire réussie !
Sources de l’épisode
Informations et extraits d’époque de romans-feuilletons à découvrir sur Gallica, le site de la BnF (Bibliothèque nationale de France) :
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Transcription
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Des livres qu’on dévore comme des séries.
Bonjour à toutes et à tous et bienvenue dans ce nouvel épisode. Aujourd’hui, on se retrouve pour un épisode solo dans lequel je vais vous parler de littérature. Plus exactement, j’aimerais vous présenter un certain type de roman qui me plaît beaucoup. Il s’agit des romans-feuilletons. Les romans-feuilletons ont tous des caractéristiques communes qui viennent de la façon dont ils ont été publiés à l’origine au XIXᵉ siècle. La plupart des romans-feuilletons sont aujourd’hui de grands classiques et on peut dire qu’ils ont une petite recette qui fait que les histoires sont très intéressantes et qu’on n’a pas envie de lâcher le livre quand on le lit. C’est pour ça que je me suis dit que ça pouvait être intéressant pour vous, d’autant plus que même s’il s’agit de la littérature classique et ancienne, je pense qu’ils sont quand même assez faciles à lire et je vais vous expliquer pourquoi. J’ai eu envie de faire ce sujet pour deux raisons. La première, c’est que moi-même, j’ai étudié le phénomène des romans feuilleton quand j’étais à l’université et je me rappelle que ça m’avait fascinée. Je m’étais beaucoup imaginé cette époque, ces publications, et ça m’est resté : encore aujourd’hui, quand j’ai envie de lire un roman classique, j’essaye de chercher du côté des romans qui ont été publiés d’abord en feuilletons.
Et la deuxième raison pour laquelle je voulais vous parler de ce sujet, c’est qu’en regardant le sondage auquel vous avez répondu en début d’année sur vos sujets préférés, je me suis rendu compte que vous aimiez bien les sujets autour de la littérature, que vous aimiez bien qu’on vous donne des conseils de livres à lire et aussi que vous aimiez bien qu’on vous fasse de la lecture directement d’œuvres littéraires. C’est pourquoi, dans cet épisode, je vais faire un peu de tout ça. D’abord, vous présenter ce que sont les romans-feuilletons, puis vous donner trois livres à lire que je vous conseille, et enfin lire un petit extrait dans les cinq dernières minutes.
Le roman-feuilleton est un genre de roman qui est apparu au XIXᵉ siècle. Il se définit par la manière dont il a été publié à l’origine. En fait, au XIXᵉ siècle, il y a un homme qui apparaît dans le paysage médiatique, c’est Émile de Girardin. Émile de Girardin, c’est un homme un peu particulier qui a eu une vie assez romanesque et qui a en lui l’envie de réussir à tout prix. Il est très malin, il est intelligent et non seulement il lance un journal, mais il invente beaucoup de nouveautés pour que son journal fonctionne.
Son idée, c’est qu’il a besoin de faire venir à lui, d’attirer beaucoup de lecteurs et aussi beaucoup d’annonceurs, de publicitaires. Et là, il a donc plusieurs idées pour fidéliser la clientèle et pour rendre son journal attractif. Parmi ces idées, il y a celle de publier en avant-première un roman en le publiant par épisodes. C’est-à-dire que chaque jour dans le journal, on peut retrouver un épisode inédit d’un roman qui n’a jamais été publié avant, et donc, si on veut savoir la suite, il faut absolument acheter le journal du lendemain et surtout, pendant plusieurs mois, il faut acheter le même journal tous les jours. Si vous regardez d’ailleurs la date de publication de certains romans classiques, vous constaterez que celle-ci s’étale sur plusieurs mois. Ça peut être, par exemple, un roman publié entre novembre 1846 et mars 1847. Ça, ça veut dire que ça a été publié par épisodes quotidiens. Pourquoi on appelle ça un roman-feuilleton ? Alors, là, on va faire un petit point de vocabulaire. Déjà, une feuille, je pense que vous savez ce que c’est. Aujourd’hui, ça peut avoir plusieurs significations, mais notamment un des sens du mot feuille, c’est le papier sur lequel on peut écrire ou le papier sur lequel on peut imprimer des choses.
À partir du mot « feuille », il existait le mot « feuillet ». Un feuillet, c’est tout simplement une page de journal. Et ensuite, en allant plus loin, le « feuilleton », c’est le diminutif de feuillet, ça veut dire un petit feuillet, ça désignait à l’époque le bas de page sur lequel on pouvait retrouver des nouvelles un peu plus légères et notamment des nouvelles culturelles. Donc, les lecteurs avaient l’habitude, à l’époque du XIXᵉ siècle, quand ils ouvraient le journal, de voir, séparé par une ligne fine, au rez-de-chaussée, au bas de la page, un feuilleton dans lequel ils retrouvaient, par exemple, les critiques de théâtre, les nouveautés en termes de littérature, etc. C’est alors qu’Émile de Girardin a décidé que les romans qu’il allait publier par épisodes allaient se trouver au niveau du feuilleton. C’était très malin pour plusieurs raisons.
La première raison, c’est que les lecteurs savaient exactement où retrouver leur épisode. Ça permettait d’être efficace et de créer un rendez-vous. La deuxième raison, c’est que le fait d’avoir une partie séparée par une ligne, ça permettait de plier le journal et donc de rendre la lecture plus facile. Ça pouvait être bien pour lire dans la rue, pour lire dans les transports, mais aussi parce qu’à l’époque, tout le monde ne savait pas lire et donc, c’était pratique pour plier le journal, se mettre debout devant, par exemple, toute sa famille ou tous ses collègues et lire l’épisode à voix haute. Et enfin, la dernière raison, c’était qu’on pouvait comme ça découper le petit feuilleton et le classifier pour pouvoir reconstituer le roman à la fin. Comme ça, vraiment, ça permettait de créer une vraie fidélisation, étant donné que certaines personnes voulaient absolument être abonnées au journal pour pouvoir reconstituer le roman dans son ensemble.
Donc ça, ça a été le génie d’Émile de Girardin, mais ça a été repris par absolument tout le monde. Parfois, les codes étaient un petit peu modifiés, mais globalement, il y a eu quand même énormément de romans qui ont été publiés sous cette forme dans plein de journaux différents à l’époque. D’ailleurs, c’est arrivé même que des romans qui sont aujourd’hui constitués comme un seul livre avaient en fait été publiées dans plusieurs journaux ou à différents moments. Et il est arrivé aussi que les auteurs réécrivent un petit peu pour la version finale. Mais globalement, les caractéristiques du roman-feuilleton sont quand très particulières et se retrouvent dans tous les livres qui ont été publiés comme ça à cause de cette périodicité, à cause de ce découpage en épisodes. Alors, j’aimerais vous citer quelques caractéristiques qu’on retrouve dans tous les romans feuilleton et qui vont vous faire comprendre pourquoi c’est des romans qui sont particulièrement attractifs.
Alors, la première caractéristique, c’est le fait, tout simplement, qu’il y a beaucoup de rebondissements. Il fallait qu’à chaque épisode, chaque jour, il se passe quelque chose. Et après, il fallait aussi qu’il y ait du suspense. Donc, il pouvait y avoir souvent ce qu’on appelle des coups de théâtre, des rebondissements soudains, des événements qui se passent alors qu’on ne s’y attendait pas et donc qui font se demander : Oh là là ! Mais qu’est-ce qui va se passer dans les prochains épisodes ? Et ça créait comme ça une envie de continuer. Ensuite, une autre caractéristique, c’est que les thèmes abordés sont très variés. Il existe des romans qui ont été publiés en feuilletons, qui sont plutôt des romans politico-sociaux. Il y en a d’autres qui sont plutôt des histoires d’amour ou encore des histoires d’aventures. Il y avait aussi beaucoup de romans policiers, des enquêtes. Mais la particularité, c’est qu’il y a quand même un mélange des genres.
Comme l’idée, c’était de plaire à tout le monde et pas forcément seulement à une catégorie sociale, à une catégorie d’âge ou à un genre. On ne pouvait pas faire seulement une histoire d’amour à l’eau de rose qui ne plairait qu’aux femmes. On ne pouvait faire un roman qui traitait seulement de thèmes très sérieux, politiques et qui peut-être intéresseraient moins les plus jeunes. Et donc, comme cela, dans les romans, on peut retrouver un petit mélange de tous les différents thèmes classiques, ce qui fait que déjà, on ne s’ennuie pas et aussi, ça peut plaire à tout le monde.
Ensuite, il y a aussi un mélange en ce qui concerne les types de scènes. Vous le savez, dans les romans, il y a souvent des scènes de descriptions, des scènes avec beaucoup d’actions, des scènes de dialogues. Et ce qui est cool dans ces romans, c’est que très vite, on passe d’un type de scène à une autre, ce qui fait qu’on peut à la fois profiter de la poésie d’une description et en même temps, très vite, se re-raccrocher à un dialogue ; être à fond dans une scène d’action, mais que celle-ci ne soit pas interminable. Et donc, pour notre génération qui est quand même peu attentive, on en a déjà parlé, on a un peu de mal à rester attentif trop longtemps à quelque chose qui est assez lent, ça, ça permet de ne jamais s’ennuyer et de vouloir continuer.
Toujours concernant le style d’écriture, les romans feuilleton ont en commun d’être faciles à lire. On peut dire que le style est fluide et le vocabulaire accessible. L’idée étant toujours de plaire au plus grand nombre et de faire en sorte que ces livres puissent être lus à voix haute à toute la famille, à toute la communauté, même aux personnes qui ne sont pas forcément très éduquées. Alors c’est sûr que quand on lit ces romans à l’heure actuelle, il peut y avoir du vocabulaire un peu compliqué, mais c’est plutôt parce qu’il faut remettre certaines choses dans leur contexte de l’époque et ce n’est pas parce qu’il y a une envie de poésie, de mots compliqués, de tournure, qu’il faut relire plusieurs fois pour réussir, je ne sais pas, à trouver le sujet, par exemple. Donc, on peut dire que même si c’est des romans classiques aujourd’hui et que c’est de la très bonne littérature, c’est quand même facile à lire. Et ça, je trouve que ce n’est pas mal pour vous, mais ce n’est aussi pas mal pour moi parce que des fois, j’ai envie tout simplement de m’amuser en lisant et pas de me prendre la tête.
Et enfin, une dernière caractéristique que je voulais évoquer et qui me plaît beaucoup personnellement, c’est que comme ces romans devaient s’intégrer au journal, il y a quand même une grosse partie de portrait social. Parfois même, il y a l’intégration d’actualités. Ça peut mélanger des réalités sociales avec de la fiction. Les auteurs peuvent partir, par exemple, d’un fait divers ou d’un fait politique et de là inventer des personnages qui vont évoluer dans la société de leur époque et qui vont, par exemple, essayer d’enquêter sur le fait divers ou qui vont être touchés par un mouvement politique, etc. Et moi, je trouve ça très intéressant parce que quand on lit ces romans, en général, on se retrouve vraiment plongé dans la France du XIXᵉ siècle. Je trouve que, par exemple, quand il y a des descriptions de Paris, on a l’impression de se balader dans le Paris d’hier. Quand il y a des descriptions de la campagne, on peut s’imaginer comment c’était de vivre dans la campagne française à cette époque. Et ce réalisme fait que c’est très intéressant et c’est très poétique. Voilà, donc ça, c’est quelques caractéristiques qui font que quand on lit ces romans classiques qui ont été oublié de cette manière à l’époque, on n’a pas envie de lâcher le livre et on apprend à la fois des choses sur la France de l’époque et en même temps, on s’amuse, on passe un bon moment avec des histoires histoire qui mélangent plein de styles.
Et en cela, on peut dire que les romans de cette époque ressemblent pas mal aux séries télé d’aujourd’hui. Dans chaque épisode, il se passe une petite intrigue, tout en ayant un fil conducteur entre tous les épisodes. Il y a des rebondissements, il y a du suspense et c’est accessible au plus grand nombre, comme les séries aujourd’hui qui, je pense, ont la possibilité de réunir un public très divers, d’âges différents, de catégories sociales différentes, etc. Et d’ailleurs, je précise cela parce que ça me permet de vous préciser un mot de vocabulaire actuel, puisque le feuilleton, aujourd’hui, quand on parle d’un feuilleton en français, on ne parle plus de cette partie dans le journal qui n’existe plus, mais on parle d’une série télévisée qui passe tous les jours. Voilà. Par exemple, le grand feuilleton du moment en France, ça s’appelle Plus belle la vie, mais au cours des dernières décennies, il y en a eu beaucoup. Alors, ce n’est pas les séries type de Netflix, qu’on appelle des séries, mais quand on dit feuilleton, aujourd’hui, on veut vraiment parler de ces séries télé qui sont quotidiennes où il se passe plein de choses.
Et c’est un mot qui m’est un peu désuet aujourd’hui, mais je crois que dans les années 90, par exemple, c’était un mot très, très utilisé. On pouvait entendre les gens dire : « Je vais regarder mon feuilleton », « Moi, j’allume la télé à 20h00 parce que c’est l’heure de mon feuilleton ». Donc voilà, c’est quand même resté et on peut dire qu’il y a eu un fil conducteur des romans-feuilletons, jusqu’aux feuilletons des années 90, jusqu’aux séries qu’on retrouve en streaming aujourd’hui. Voilà pour cette partie. Et dans la troisième partie, je vais vous parler de mon auteur préféré et vous citer trois romans en particulier que je vous recommande.
Il serait impossible de faire une liste exhaustive, une liste complète des romans qui ont d’abord été publiés en feuilleton. D’ailleurs, vous avez sûrement déjà lu ou entendu parler de livres qui ont d’abord été des feuilletons sans le savoir. On peut citer, par exemple, les livres d’Alexandre Dumas, Le Comte de Monte-Cristo, Les Trois Mousquetaires. Il y a aussi énormément de livres d’Honoré de Balzac, qui a fait toute une série en romans-feuilletons. Et vous avez peut-être déjà entendu parler de l’autrice George Sand, qui, étant une femme, avait pris un nom de plume, un nom d’emprunt pour écrire. Et elle aussi, ses romans comme La Petite Fadette ont d’abord été des feuilletons. Alors, face à cette densité de référence, je me suis demandé comment vous faire des recommandations. Et en fait, les meilleures recommandations sont toujours celles qui viennent avec le cœur. Et c’est pourquoi j’avais envie de me concentrer exclusivement sur mon auteur préféré. Mon auteur préféré de cette époque, je précise.
Mais il y a un écrivain que j’ai lu et beaucoup de fois, il ms’arrive souvent de relire ses romans parce qu’il me font quelque chose, vraiment, il me touchent particulièrement. Cet écrivain, c’est Émile Zola. Son œuvre est immense et ce que j’apprécie le plus chez lui, c’est sa manière de montrer la société de son époque tout en racontant des histoires captivantes. Il se contente pas de décrire des situations, mais il nous plonge vraiment dans une réalité intense et détaillée. Il y a un vrai réalisme dans ses romans qui fait que quand je les lis, pendant plusieurs semaines, j’ai l’impression de vivre à cette époque et dans ce lieu qu’il décrit. D’ailleurs, faire un portrait réaliste de la société, c’était son objectif quand il a entrepris son travail titanesque, son travail énorme avec la série des Rougon-Macquart.
La série des Rougon-Macqart, c’est un ensemble de 20 romans qu’Émile Zola a écrits entre 1870 et 1893. Et il a donné à cette série le sous-titre très explicite de “Histoire culturelle et sociale d’une famille sous le Second Empire”. En fait, pendant ces 20 livres, on suit une famille sur plusieurs générations et dans chaque roman, il explore un milieu différent. Par exemple, le monde ouvrier, la bourgeoisie, les commerçants, les artistes, les financiers, etc. Il va chercher à montrer tous les aspects de la société, les réussites, les injustices, les trahisons, la compétition, la richesse, la pauvreté, etc. En fait, ce qui est particulièrement intéressant, c’est qu’on retrouve plein de thèmes qu’on pourrait encore retrouver aujourd’hui comme les inégalités sociales, l’exploitation des travailleurs, la domination des hommes sur les femmes, la recherche du pouvoir, etc. Je ne suis pas sûre que les 20 livres de la série aient été publiés d’abord en feuilleton, mais en tout cas, il y en a plusieurs pour lesquels c’est le cas. Et j’en ai sélectionné trois, trois livres que j’aime beaucoup qui, eux, j’en suis sûre, j’ai bien vérifi ont été publiées en feuilleton.
Alors, pour commencer, on a bien évidemment Germinal. Germinal, c’est sûrement le roman le plus connu de Zola. Il nous plonge dans l’univers des mines de charbon du Nord de la France au XIXᵉ siècle. C’était un monde marqué par la pauvreté, la souffrance et l’injustice. Dans ce roman, on suit Étienne Lantier, un jeune ouvrier qui découvre les conditions de travail extrêmement dures des mineurs et qui participe à organiser une révolte contre les propriétaires des mines. Ce roman décrit avec force la solidarité entre les travailleurs, mais aussi les tensions, les désillusions et la violence des conflits sociaux. Là, Zola met en avant le rôle des premiers syndicats et la lutte pour des conditions de vie plus dignes. À l’époque, ce livre a été vraiment salué par tous ceux qui défendaient les ouvriers et qui luttaient pour plus de justice sociale, mais ça avait été aussi évidemment beaucoup critiqué par les classes dirigeantes. Moi, ce que j’aime beaucoup dans ce livre, déjà, c’est que c’est un roman qui est très poignant, qui est certes très dur à lire, mais qui est très important, je pense, parce qu’on ressent ce que pouvaient ressentir les ouvriers à l’époque.
C’est extrêmement violent, dur, mais en même temps, il y a aussi de la tendresse. Comme je vous le disais plus tôt, il n’y a jamais juste un thème qui est abordé. Il y a aussi une histoire d’amour, il y des histoires de relations entre les personnes qui sont très belles. Et je trouve que pour le coup, on a une description des mines à cette époque qui est tellement réaliste qu’on se trouve plongé dedans, tout en ayant une réflexion assez intellectuelle sur la révolution industrielle, sur le capitalisme, sur les relations entre les travailleurs et les ouvriers. Et même si, évidemment, les choses ont énormément changé, ça reste des réflexions qui sont intéressantes pour la société d’aujourd’hui. Donc, un vrai mélange entre émotion dure, tendresse et réflexion intellectuelle.
Alors Germinal, c’est un des premiers livres si on suit la chronologie de la famille des Rougon-Macquart. C’est le troisième livre de la série si on prend les livres pas dans l’ordre d’écriture, mais dans l’ordre de l’arbre généalogique. Un peu plus loin, deux livres plus loin, on a le livre Au bonheur des dames. Le livre Au bonheur des dames, c’est un vrai doudou pour moi. Un « doudou », c’est comme ça qu’on appelle les peluches que les enfants ont dans leur lit et qui les réconfortent.
C’est un livre que j’aime beaucoup relire, que j’écoute parfois en audiobook et qui me fait beaucoup sourire. Donc, dans Au bonheur des dames, on suit la vie de Denise, une jeune provinciale qui se retrouve à devoir chercher un travail à Paris et elle trouve du travail dans un grand magasin. Les grands magasins, aujourd’hui, il y en a encore quelques vestiges à Paris. C’est par exemple Le Printemps, Les Galeries Lafayette ou encore La Samaritaine qui a récemment été rénovée et réouvert. Mais à l’époque de Denise, c’est le tout début de ces grands magasins et on va observer cette nouveauté dans la société à travers les yeux de cette petite provinciale qui est très naïve au début et qui va apprendre à évoluer et à devenir adulte dans ce monde. Les grands magasins, ça représente le début de la société de consommation, ça représente la mort progressive des petits commerçants et l’arrivée dans un monde, dans une ville de Paris, avec un autre visage par rapport au Paris plus ancien et un peu moins effervescent.
Et en fait, en tant que lecteur, on se retrouve comme Denise à avoir une espèce de fascination critique pour ce monde. D’un côté, on se dit que c’est un monde très injuste, avec des luttes de pouvoir qui sont assez égoïstes, où chacun veut prendre sa place et où il y a beaucoup de superficialité, mais en même temps, on est assez fasciné parce que ça a l’air d’être magnifique. Il y a des tissus de toutes les couleurs, il y a des dames extrêmement bien habillées, il y a des accessoires à la confection très précises. Et donc, moi qui dans ma jeunesse ai adoré me balader dans Paris, faire les magasins, m’acheter des nouveaux vêtements et qui, aujourd’hui, ait un œil un peu plus critique sur cette surconsommation, je retrouve ce sentiment ambivalent qui fait qu’à la fois, j’ai trop envie de me balader dans ces grands magasins, d’acheter des belles robes, de moi aussi participer aux intrigues entre tous les vendeurs. Il y a des intrigues amoureuses. Il y a des intrigues sociales comme ça qui sont assez délicieuses, mais en même temps avec un œil critique de toutes ces injustices et de la vision d’un monde qui est en train de s’écrouler avec beaucoup de personnes qui vont perdre leur commerce et des relations hiérarchiques qui ne sont pas très saines entre les employeurs et les employés. C’est un de mes romans préférée, que j’aime beaucoup relire.
Et enfin, j’aimerais terminer rapidement sur une troisième recommandation d’Émile Zola. Et c’est pour vous montrer aussi qu’Émile Zola, pour son époque, est un auteur qui donne une vraie place aux personnages féminins. Il ne les met pas en arrière-plan, il ne les met pas juste comme la femme dans l’histoire d’un homme, mais il leur donne une importance centrale et il montre surtout différentes réalités. Ils ne montrent pas seulement une classe sociale, il ne montre pas seulement la femme en tant qu’épouse, mais il montre toutes les réalités sociales qu’elles peuvent avoir. Alors, après vous avoir parlé de Au bonheur des dames et de cette petite provinciale qui travaille à Paris, j’aimerais vous parler du livre Nana. Le livre Nana, c’est un roman qui raconte l’histoire d’une femme qui est une semi-mondaine, on peut dire aussi une courtisane, une femme qui vit grâce à l’argent des hommes qu’elle séduit, mais pas de manière machiavélique, il y a un jeu qui se sait à cette époque de mondanité où certains hommes entretiennent certaines femmes. Et elle, Nana, c’est une jeune femme qui est très demandée. Elle est actrice de théâtre, elle commence à devenir célèbre. Et en fait, on va suivre le parcours de cette femme qui va essayer de se créer la meilleure vie pour elle-même dans un monde où elle est à la fois méprisée et admirée. C’est une femme qui est très touchante et autour de laquelle gravite énormément d’autres personnages, donc finalement, ça donne un roman où on suit plein de mondes différents. Je trouve qu’il y a un côté assez fascinant. Et là aussi, on se retrouve bien plongé dans la réalité parisienne de l’époque, avec les théâtres, les soirées mondaines, les dîners, etc.
Je vais m’arrêter là avec mes conseils et dans une toute dernière partie, je vais prendre cinq minutes pour vous lire un petit extrait d’un des romans que je viens de citer. Il s’agit de l’incipit, c’est-à-dire le tout début du livre Au bonheur des dames, qui, je trouve, permet d’être plongé directement face à ces grands magasins dont je vous parlais. Alors, je vous dis à très bientôt. Vous pouvez continuer si vous voulez écouter cet extrait, sinon c’est la fin du podcast à proprement parler. N’hésitez pas à me dire ce que vous en avez pensé dans les commentaires et à votre tour, peut-être, à conseiller des livres. Salut, salut et bonne lecture.
Denise était venue à pied de la gare Saint-Lazare où un train de Cherbourg l’avait débarqué avec ses deux frères après une nuit passée sur la dure banquette d’un wagon de troisième classe. Elle tenait par la main Pépé et Jean la suivait.
Tous les trois brisés du voyage, effarés et perdus au milieu du vaste Paris, le nez dévouée sur les maisons, demandant à chaque carrefour la rue de la Michaudière dans laquelle leur oncle Baudu demeurait. Mais comme elle débouchait enfin sur la place Gaillon, la jeune fille s’arrêta nette de surprise.
– Oh, dit-elle. Regarde un peu, Jean !
Et ils restèrent plantés, serrés les uns contre les autres, tout en noir, achevant les vieux vêtements du deuil de leur père. Elle, chétive pour ses 20 ans, l’air pauvre, portait un léger paquet, tandis que de l’autre côté, le petit frère, âgé de cinq ans, se pendait à son bras et que derrière son épaule, le grand frère, dont les seize ans superbes florissaient, était debout, les mains ballantes.
– Ah bien, reprit-elle après un silence. En voilà un magasin !
C’était à l’encoignure de la rue de la Michaudière et de la rue Neuve Saint-Augustin, un magasin de nouveauté dont les étalages éclataient en notes vives dans la douce et pâle journée d’octobre. Huit heures sonnaient à Saint-Roch. Il n’y avait sur les trottoirs que le Paris Matinal, les employés filant à leur bureau et les ménagères courant les boutiques. Devant la porte, deux commis, montés sur une échelle double, finissaient de pendre des lainages, tandis que, dans une vitrine de la rue Neuve Saint-Augustin, un autre commis, agenouillé et le dos tourné, lissait délicatement une pièce de soie bleue. Le magasin, vide encore de clientes et où le personnel arrivait à peine, bourdonnait à l’intérieur comme une ruche qui s’éveille.
– Fichtre, dit Jean, ça enfonce Valogne. Le tien n’était pas si beau.
Denise hocha la tête. Elle avait passé deux ans là-bas, chez Cornaille, le premier marchand de nouveautés de la ville ; et ce magasin, rencontré brusquement, cette maison énorme pour elle, lui gonflait le cœur, la retenait, émue, intéressée, oublieuse du reste. Dans le pan coupé donnant sur la place Gaillon, la haute porte, toute en glace, montait jusqu’à l’entresol, au milieu d’une complication d’ornements, chargés de dorures. Deux figures allégoriques, deux femmes riantes, la gorge nue et renversée, déroulaient l’enseigne : Au Bonheur des Dames. Puis, les vitrines s’enfonçaient, longeaient la rue de la Michodière et la rue Neuve-Saint-Augustin, où elles occupaient, outre la maison d’angle, quatre autres maisons, deux à gauche, deux à droite, achetées et aménagées récemment. C’était un développement qui lui semblait sans fin, dans la fuite de la perspective, avec les étalages du rez-de-chaussée et les glaces sans tain de l’entresol, derrière lesquelles on voyait toute la vie intérieure des comptoirs. En haut, une demoiselle, habillée de soie, taillait un crayon, pendant que, près d’elle, deux autres dépliaient des manteaux de velours.
– Au Bonheur des Dames, lut Jean avec son rire tendre de bel adolescent, qui avait eu déjà une histoire de femme à Valognes. Hein ? c’est gentil, c’est ça qui doit faire courir le monde !
Mais Denise demeurait absorbée, devant l’étalage de la porte centrale. Il y avait là, au plein air de la rue, sur le trottoir même, un éboulement de marchandises à bon marché, la tentation de la porte, les occasions qui arrêtaient les clientes au passage. Cela partait de haut, des pièces de lainage et de draperie, mérinos, cheviottes, molletons, tombaient de l’entresol, flottantes comme des drapeaux, et dont les tons neutres, gris ardoise, bleu marine, vert olive, étaient coupés par les pancartes blanches des étiquettes. À côté, encadrant le seuil, pendaient également des lanières de fourrure, des bandes étroites pour garnitures de robe, la cendre fine des dos de petit-gris, la neige pure des ventres de cygne, les poils de lapin de la fausse hermine et de la fausse martre.
Puis, en bas, dans des casiers, sur des tables, au milieu d’un empilement de coupons, débordaient des articles de bonneterie vendus pour rien, gants et fichus de laine tricotée, capuline, gilet, tout un étalage divers aux couleurs bariolées, chinées, rayées, avec des taches saignantes de rouge.
Denise vit une tartanelle à 0,45, des bandes de visons d’Amérique à un franc et des mitaines à cinq sous. C’était un déballage géant de foire. Le magasin semblait crever et jeter son semblait crevé et jetait son trop-plein à la rue.
Commentaires
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J’ai lu, il y a environ deux ans, „Thérèse Raquin” de Zola. Un roman plutôt sombre, au sens littéral et figuré. Il y a très longtemps, j’ai lu „Le Père Goriot” de Balzac. Il faut vraiment apprécier le réalisme dans la littérature. Personnellement, je trouve ces livres un peu déprimants. Les inégalités sociales, l’exploitation des employés… etc. sont des phénomènes qui persistent de nos jours.
Je lis George Sand, mais aussi Françoise Sagan. J’ai adoré „Lettres de mon moulin” d’Alphonse Daudet, les 4 tomes des Souvenirs d’enfance et „Manon des sources” de Marcel Pagnol, „Le Grand Meaulnes” d’Alain-Fournier, „La symphonie pastorale” d’André Gide. Et pas mal de livres d’écrivain(e)s contemporain(e)s. Souvent, pour varier et pour ma culture générale, je lis des traductions françaises d’auteurs non francophones. À la fin, c’est la langue française qui compte…:-) -
Germinal a marqué ma perspective sur le monde J’ai adoré écouter cet episode. Merci Ingrid!
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Chère Ingrid,
cet épisode est merveilleux! Comme tous les autres que tu prépares seule ou avec Hugo, c’est bien préparé, ta voix est très agréable à écouter, le débit et la diction sont excellents.
J’adore Zola, j’ai lu de nombreux livres de la série Ruggons-Macquart (en russe, ma lange maternelle) et je me souviens de ses brillantes descriptions, notamment Au Bonheur des Dames.
La lecture de l’extrait a été un peu difficile pour moi à comprendre en raison du rythme assez rapide, mais tu m’as donné envie de me replonger dans l’ambiance du Paris de Zola. -
Merci. La dernière partie est très intéressante, mais très difficile !
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Merci Ingrid! J’ai adore cet episode!
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Merci beaucoup, Ingrid, pour ce récit très instructif ! J’ai aprécié particulièrement tes explications sur le mot « feuilleton ». Ce mot existe aussi en allmand. En allmand, «feuilleton» signifie la partie d’un journal dans laquelle sont publiés des article culturels, critiques de films, de livres, de théâtres, de concerts, etc. Je n’aime pas particulièrement ce mot, parce-qu’il me semble qu’il a un contenu élitiste. Ses racines françaises par contre, ils semblent être de nature plus populaire. Intéressant!
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Merci encore Hugo, j’apprécie tout le travail que tu fais pour créer ces podcasts. De plus, je trouve les niveaux de difficulté utiles. Continue comme ça.
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Merci Ingrid. Super épisode! Je suis en train de lire Pere Goriot. Apres je vais essayer Zola. J’aime beaucoup t’écouter.
Rick de Berkeley, CA
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Le problème mondial aujourd’hui est que les gens arrêtent de lire, surtout la jeune génération. Au lieu de cela, ils regardent d’un écran à l’autre tout le temps. Leur vie entière est à l’intérieur d’un écran.
Moi, j’aime lire et surtout la littérature classique. Des livres nous aident également à mieux comprendre la vie quotidienne et nous-mêmes. De plus, un livre est un excellent type d’amusement car il n’a pas besoin d’une batterie.
En plus les auteurs celebrés comme Émile Zola, Honoré de Balzac, Guy de Maupassant, Alexandre Dumas, j’aime bien aussi Edmond Rostan et Gustave Flaubert, et parmi d’autres écrivains contemporains j’aime bien Françoise Sagan et Hervé Bazin. J’espère qu’un jour je pourrais les lire en français. Maintenant mon niveau est encore limité aux livres sur Le Petit Nicolas, qui sont aussi formidables.
Chèrs Ingrid et Hugo, je vous suis très reconnaissante pour votre travail, pour vos podcasts très interessants. J’ai pu améliorer mon niveau de français grâce à vous.
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Salut Ingrid,
Merci pour cet excellent épisode. Oui, tu as raison. Quand vous conseillez quelque chose, je fais toujours attention à ça. Dans un de vos podcasts (E152), vous avez parlé d’une BD (Les Cahiers d’Esther). Je l’ai adorée et je la conseille à tout le monde.Comme tu l’as dit, elle parle des choses de la vie et utilise une langue plus simple. Pas besoin d’aller chercher chaque mot dans le dictionnaire. Quand je lis Esther, je me suis dit : “OK ! C’est très bien. Je comprends tout sans utiliser un dictionnaire.”😊 Ensuite, j’ai eu le courage de lire Le Dernier Jour d’un Condamné (Victor Hugo), parce que ce livre est court et je l’ai lu plusieurs fois en turc. Mais ce n’était pas facile. Je n’ai pas pu avancer. J’ai dû regarder dans le dictionnaire tout le temps. Après, je me suis sentie triste, parce que j’aimerais lire les romans que j’ai adorés dans leur langue originale.
Mais malheureusement… pas encore !
Je suis toujours très enthousiaste quand il s’agit de la littérature française. Merci encore une fois😍 -
Merci Ingrid,Tes épisodes solo m’ont beaucoup plu!
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Merci pour cet épisode, j’aime beaucoup les contenus sur la littérature française. Ça me plaît beaucoup d’écouter des histoires sur les auteurs.
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Il faut avoir le vocabulaire tres riche pour lire ou ecouter Emile Zola. Tres difficile de comprendre/traduire toutes les detailles de description.
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Bonjour Leopold, je te rassure, moi non plus je ne comprends pas tous les mots ! Quand on lit dans une langue étrangère, il faut apprendre à continuer sa lecture sans chercher tous les mots qu’on ne connaît pas. C’est aussi vrai quand on lit dans sa propre langue des œuvres d’un autre siècle. Dans la description du magasin ici, par exemple, je comprends l’idée générale et je peux imaginer le lieu, même s’il y a plein de noms communs que je ne connais pas.
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Merci, Ingrid. J’en ai apprécié beaucoup d’avoir écouter votre lecture. J’ai l’envie de plus. Je vous recommander la roman, “Tous les Hommes N’habitent Pas le Monde de la Meme Facon” par Jean-Paul Dubois. Mon préféré de 2024. A bientôt, Charles.
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Merci Ingrid, Je me suis retrouvée absorbée par cet épisode, pour améliorer mon niveau de français mais aussi pour en apprendre davantage sur divers sujets littéraires. Votre sélection du passage de « Au bonheur des dammes » m’a obligé à me référer à la transcription et à étudier sérieusement, mais le défi et la récompense en valaient la peine.
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Merci, Ingrid. J’ai adoré ce podcast. J’ai lu Germinal il y a une cinquantaine d’années, mais après avoir écouté le podcast J’ai envie de relire les titres que tu as proposés. Ton discours est bien organisé, plein de détails intéressants. Ta façon de parler est extrêmement jolie et agréable.
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J’ai oublié de dire que la serie de déroule dans un de premiers grands magazins de Milan, qui s’appèlle justement ‘il paradiso delle signore’. A bientôt
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Merci Ingrid pour cet épisode léger mais toujours soigné et précis. A propos du livre ‘au Bonheur des dames’ , en italie dès quelques années il y a une série feuilleton quotidienne qui a été inspiré au roman de Zola et qui s’appèlle ‘il paradiso delle signore ‘ ; il se déroule a Milan dans les années 60 et il est très agréable! Recomnandez-nous aussi des livres contemporains quand vous pouvez! Merci et A bientôt

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